La mémoire des pierres

PatrimoineMemoire.jpgNous habitants d’Uttwiller, connaissons nous notre histoire, notre patrimoine ?

Nul besoin d’être Uttwillerois « pur souche » pour s’intéresser et comprendre l’histoire locale (c’est un hargeloffener qui écrit…) ! Ces escapades dans nos souvenirs que nous vous proposons dans ce bulletin semestriel auront pour seul et unique but de nous arrêter devant des éléments de notre patrimoine et de les contempler ou de nous transporter dans notre passé.

Notre village, de part sa situation géographique, présente un nombre important de constructions employant le grès des Vosges.
Murs, sous-bassements, portails sont autant d’éléments de nos maisons anciennes qui emploient ce matériau. Sans avoir d’explication précise, il faut se rendre à l’évidence que notre village à la particularité de présenter une importante concentration de pierres sculptées en façade.
Logiquement, la présence d’un tailleur de pierre aurait pu expliquer cette particularité. Il n’en est rien puisque les divers recensements communaux du XIXème siècle ne révèlent pas l’existence du moindre ouvrier de ce métier.
Peut être un passionné ? Probablement pas, puisque les nombreux cultivateurs de notre village avaient bien d’autres occupations aux champs et à la ferme. On supposera que ces sculptures sont tout bonnement l’œuvre d’un tailleur de pierre d’un village voisin des Vosges du nord (Rothbach, par exemple, comptait plusieurs tailleurs de pierre au XIXème siècle).
Initiées par un propriétaire puis reprises ou copiées par des membres de la famille ou par des voisins envieux, ces ornementations n’avaient qu’un seul et unique but, faire étalage de la richesse des propriétaires bâtisseurs.
La majorité des sculptures représentent des éléments de l’imagerie populaire : fleurs, cœurs, arbres de vie, animaux, soldats. Outre les classiques linteaux de portails sculptés du nom des propriétaires, une sculpture sort de l’ordinaire au 13 rue principale. Les montants des portes charretières et piétonnes sont ornés de sculptures et d'inscriptions humoristiques et triviales se rapportant aux tailleurs (tailleurs d’habits) et aux boucs. Les inscriptions en écriture ancienne sont assez facilement lisibles.

En voici une retranscription et une traduction :

  • Was hat der Geissbock gespeist,                      Qu’a donc mangé le bouc,
  • Das er Lauter Schneider Scheisst  ?                 Pour ne « chier » que des tailleurs ?
  • Er Speisst Krauth und Ruben,                           Il mange du chou et des navets,
  • Darum scheisst er Lauter Schneiderbuben !    C’est pourquoi il ne « chie » que de petits tailleurs !

Ce texte est illustré par une sculpture représentant un tailleur chevauchant un bouc qui défèque un apprenti tailleur, des ciseaux à la main, devant un autre tailleur, extrayant ce dernier au forceps, suivi par un bouc debout en érection.

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Mais d’où peut bien provenir une telle satire ?
La ferme du 13 rue principale a été construite par une famille de cultivateurs. Johannes et Catharina Balzer ont édifié le logis en 1810 tandis que leur fille et leur gendre, Margaretha Balzer et Johannes Lückel ont procédé à la construction du reste de la propriété entre 1842 et 1859. Cette moquerie envers les tailleurs n’est pas étonnante à une époque où les villages étaient peuplés de riches familles paysannes.

Entre cette majorité de travailleurs de la terre (cultivateurs, laboureurs et journaliers) vivaient quelques autres corps de métier minoritaires : maréchaux-ferrants, tonneliers, cordonniers, tisserands, tailleurs (tous représentés dans notre village par une au plusieurs familles aux alentours de 1850).
Ce dernier métier faisait l’objet d’une satire populaire.
Dans nos villages du 19ème siècle, les tailleurs étaient souvent des habitants très pauvres et leur activité était certainement jugée moins éprouvante que les travaux des champs d’où la moquerie des plus aisés. Les relations fréquentes avec la clientèle féminine n’arrangeaient rien à la situation.
Par ailleurs, la pauvreté entraînait irrémédiablement une mauvaise condition physique. Les tailleurs qui passaient pour des gens maigres pouvaient être comparés à des chèvres ou boucs, animaux aux os saillants.

Concernant nos propriétaires du 13 rue principale, deux hypothèses peuvent expliquer les décorations de leur façade.
La première, fréquemment évoquée dans la littérature, repose sur le fait que le propriétaire était tailleur de métier et qu’il avait fait orner sont portail pour priver les autres du plaisir de le railler. Rien dans l’état civil ne montre la présence d’un tailleur à la ferme au 19ème siècle. Peut-être un métier secondaire ?
La seconde hypothèse pourrait être une provocation envers un autre habitant du village ? Ceci est possible puisque en 1851, Uttwiller comptait parmi ses 269 habitants deux tailleurs, Krieger George Père et fils, dont l’habitation se situait au n°36 Hintergass (à proximité du croisement rue principale – rue d’Ingwiller).

Sommes-nous face à un règlement de compte ? Nul ne peut le dire.

En tout état de cause, cet élément d’architecture de notre patrimoine témoigne sans aucun doute des histoires piquantes de nos ancêtres. Notons qu’une sculpture très proche de celle décrite est observable au 35 rue de Kirrwiller à Obermodern, probablement le travail du même sculpteur.

François TREVISAN


Date de création : 03/08/2022 @ 16:17
Catégorie : - Histoire, art et culture
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